Septembre 2023
Edgar Sarin
"Subterranean Homesick Blues" est une fresque de 36 mètres de long explorant l'idée de la "survivance" souterraine, d'un état de civilisation enfoui qui devait être mis en lumière. Peinte entièrement avec des pigments telluriques - de la terre de France et d'Italie - la fresque a été créée in situ, dans la grange où elle sera exposée. "Subterranean Homesick Blues" sera présentée sous la forme d'une grande architecture suspendue à observer dans une certaine obscurité. Cette œuvre fait partie intégrante du travail d'Edgar Sarin, qui conçoit des architectures in situ tout en laissant ouverte la possibilité qu'elles puissent, grâce au pouvoir heuristique de l'exposition, se transformer et cristalliser un folklore pictural spécifique à chaque exposition. Cette architecture a donc un statut ambigu et, en tant que structure de récolte, évoluera tout au long de l'exposition.
Extrait de « Edgar Sarin : Subterranean Homesick Blues», à paraître, 2023. Éric de Chassey, Directeur général de l'Institut national d'histoire de l'art
[…] Ici la peinture est architecture et l’architecture, peinture. À l’intérieur d’une grange rectangulaire et faiblement éclairée par les interstices de ses huisseries, des toiles partiellement recouvertes de peinture sont suspendues entre sol et plafond, formant une architecture provisoire dans laquelle on ne peut entrer mais qui invite à en faire le tour. La structure est déductive, ses dimensions à proportion de l’architecture qui l’accueille : elle prend ainsi l’allure d’un gigantesque sarcophage que décorent des scènes peintes, comme autant de stations plus ou moins nettement marquées. Le regard embrasse ces scènes latéralement ou les parcourt successivement, sans pour autant pouvoir en recomposer un récit, et ce d’autant plus que les éléments en sont à peine distincts, tandis que la scansion en est, elle, évidente. Alors que nous avons l’habitude de regarder un cycle pictural en nous plaçant en son milieu, ici, c’est lui qui se trouve au milieu, et nous qui l’entourons. Alors qu’il est habituellement lisible parce que la lumière s’y projette, il est ici difficilement déchiffrable, parce que les sources lumineuses sont placées derrière lui et qu’il n’est éclairé que par transparence, d’une façon qui modifie profondément les couleurs et les formes peintes. On ne sait ce qui a été là en premier : la peinture ou l’architecture, si la structure de toile a préexisté et demandé à être recouverte de peinture, ou bien si la peinture s’est peu à peu tellement développée qu’elle a requis plus de surface à couvrir et, ce faisant, s’est transformée en architecture. Il serait certes facile de vérifier que concrètement les morceaux de toile ont été assemblés avant d’être peints, mais cela ne dirait rien du processus : car celui-ci est mental avant d’être matériel, et ce qui compte c’est les demandes mutuelles des deux acteurs du processus, que l’artiste n’a fait qu’orchestrer. À regarder les formes peintes, on pourrait dire que l’artiste, justement, n’a été là que le moins possible, qu’il s’est presque entièrement retiré pour que peinture et architecture puissent se développer réciproquement. Pas de geste épique, pas d’invention iconographique fulgurante, pas de flamboyance chromatique, juste des larges recouvrements de couleurs terreuses, scandés par des respirations de toile non teinte, et formant des images, mais des images que l’on distingue à peine et qui semblent venir d’un fond commun – fond humain et fond pictural à la fois, qui remontent ici à la surface ou s’y projettent, que la surface vient récolter comme une sorte de moisissure surgie d’une histoire tout ensemble très longue et très simple, selon un double principe d’économie et d’écologie. […]