Juin 2022
Par Aurèce vettier
Entre quatre murs de béton de chanvre, c’est une étude de la forme végétale qu’aurèce vettier esquisse. Aux prémisses, un travail de recherche et de collecte minutieux d’herbiers historiques, certains datant du XVIème siècle, où des milliers de plantes de chanvres séchées, cannabis sativa L. sont archivées, ainsi qu’une sélection de plantes issues des champs de chanvre du Marais. C’est la matière première d’une exploration du potentiel génératif des GAN (Generative Adversarial Networks), un algorithme d’apprentissage machine, nourri par ce corpus de plantes collecté, sélectionné et classé par l’artiste.
Un GAN se compose sur deux réseaux neuronaux “adversaires". L’un, le “générateur” créé des images avec lesquelles il tente de tromper l’autre. Enfin ces images sont passées à un second réseau qui a le rôle d’évaluer leur authenticité.
Les variations végétales potentielles, issues de ces allers-retours d’apprentissage, sont donc considérées comme vraisemblables selon le paradigme du réseau-juge. Notre oeil humain reçoit ces propositions de plantes également avec bienveillance: ce que l’on contemple dans ce “hemp house” en béton de chanvre sont des formes végétales sans hésiter. Apprenant de cette matière végétale brute, l’algorithme est entraîné à connaître, par l’accumulation d’images tel un cerveau, jusqu’à savoir imiter, les structures et contours du vivant.
Les logiques de ce réseau génératif ressemblent au fonctionnement du mimétisme biologique, stratégie adaptative dont usent certaines espèces pour échapper à un éventuel prédateur. Ainsi qu’un animal-machine, la plante obéirait-elle dans son extension de vie à un mécanisme cartésien?
Toutefois, ces chanvres potentiels produits par l’intelligence artificielle apprenante possèdent des particularismes peu communs. Des tiges coupées ou circulaires, refermées sur elles-mêmes, qui font naître des feuilles isolées de leurs bases ou marquées de crochets aigus: des détails qui sèment le doute quant à leur respect des lois tacites qui régissent, dans l’éco-sphère actuel, les structures de vie végétale. Ce sont, selon l’expression de l’artiste, des formes “anti-darwiniennes” d’un chanvre potentiel: des versions alternatives hypothétiques de la plante, mais qui n’ont pas encore eu lieu dans le monde organique actuel—du fait de leur inhérente impossibilité de survie.
Dans ce nouvel opus des Potential Herbariums, aurèce vettier construit ainsi, en se basant sur une connaissance étendue de l’algorithme et une approche polymathe de la création, un véritable laboratoire de la genèse végétale. Le regard de la machine se superpose à celui de l’artiste, et nous sommes face à un corpus dense et multifacetté proposant des réalités végétales plurielles.
Ces formes dérivées du chanvre, oscillant entre le monde végétal et virtuel démontrent que ces derniers sont tous deux des lieux de “figurabilité infinie” (E. Coccia). Le mouvement de l’algorithme se fait le miroir du métabolisme végétal, central et nécessaire à la perpétuation de la vie, dans sa manière de faire des propositions visuelles infinies et aléatoires.
La croissance des plantes, qu’elle réponde au règne virtuel ou végétal, est une “cosmogonie en acte”, la “genèse constante et répétée de notre cosmos en la forme d’une tige ou d’une feuille nouvelle” (E. Coccia, La vie des plantes). Un dialogue ininterrompu d’aller-retour entre ces deux mondes s’installe.
Il en résulte également une série de sculptures en bronze, des hautes tiges de chanvre, aux feuilles comme des chimériques précieuses. Convoquant un ensemble d’artisans, aurèce vettier assemble autour de lui des métiers d’art d’exception.
Exposées dans le HEMP CUBE, nouvel espace de 91530 Le Marais, les chanvres potentiels entrent en coexistence ambivalente avec les chanvres réels, cultivés dans les champs de la ferme du Marais, la matière première de cette exploration de l’évolution, l’hybridation et la survie dans le monde du vivant.
A propos
aurèce vettier est un studio artistique français fondé par Paul Mouginot en 2019. Il vise à comprendre comment des interactions pertinentes et significatives avec les machines et les algorithmes peuvent repousser les limites des processus créatifs.