Source & Origine

Juin 2022

Par Bianca Bondi & Guillaume Bouisset

« Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » Maurice Denis

Chacun de nos sens sont convoqués dès lors qu’on pénètre dans cette grange historique du Marais. L’oeil s’ajuste à la pénombre naturelle et décèle, graduellement, un paysage nouveau et mystérieux, tangible presque par la chaleur diffuse émanant d’une lampe, qui chauffe une nappe aqueuse et rose. Des composantes d’un ailleurs—non-identifié dans le temps et l’espace.

C’est à même la terre que Bianca Bondi et Guillaume Bouisset, dans cette première oeuvre collective, ont creusé un bassin—un petit étang minéral où abriter la vie. Une forme de vie primaire évolue sous nos yeux: des halobactéries, halophiles extrêmes appartenant à la classification taxinomique des archées. Ces microorganismes unicellulaires, issues de salins de Camargue, s’encadrent d’une croûte cristallique de sel, formant une barrière entre le liquide rose et la terre brute. Étant des extrémophiles, ces halobactéries sont caractérisées par leur grande résilience: tout dans leur être est tourné vers la survie. Proliférant dans les eaux salées, elles se nourrissent de carbone, et alternativement de lumière. Une lampe, seule, semble couvrir cet ensemble pour leur bien-être et reproduction; ainsi s’esquisse une étude du maintien de la vie la plus primaire et archaïque.

Ce fascinant mais fragile écosystème serait-il une fontaine de jouvence? La couleur rose de ces microscopiques halobactéries provient de la concentration en caroténoïdes qu’elles produisent: des anti-oxydants, nécessaires et bénéfiques pour l’équilibre du corps humain, suggérant un possible ingrédient dans la quête éternelle de l’homme à repousser les limites de son âge. Composantes essentielles également d’une harmonie écologique, les halobactéries usent de leur métabolisme pour fixer du carbone émis dans l’atmosphère. 

Leurs pouvoirs sulfato-réducteurs, permettant de dégrader les métaux lourds, pourraient jouer un rôle dans une dépollution progressive de l’environnement. Vie primaire ou vie perpétuelle, cet organisme raconte la puissance de l’infiniment petit. 

Oscillant sur l’incertitude inhérente de sa survie, l'halo bactérie nous fait, finalement, assister à sa naissance tout autant qu’à son contraire. Est-ce le paysage d’un paradis originel, ou celui d’un monde désert, où seule la vie insouciante de l'halo bactérie persiste? Il semble le lieu de rencontre de la dualité des deux artistes, où un dialogue entre la lumière et la terre, l’horizontal et le vertical, et des forces dichotomiques mais complémentaires naît, et finalement fusionne.

Composé d’éléments trouvés dans l’environnement local du Marais, le microcosme végétal qui encadre les halobactéries invite à une contemplation nouvelle, à la manière d’un jardin zen. En miroir, de l’autre côté de l’espace, on perçoit les formes d’une stèle, érigée en sel et dressée d’une composition végétale tel un ikebana, autel bouddhiste dont les fleurs auraient cédé place à une relique minérale d’archées. Ce petit pays lointain, donnant à cette ancienne grange à grains des airs de temple, existe en nous comme un mirage mental. Une pierre surplombe ce laboratoire silencieux et sacré; alors qu’un fin arbre mort figure un élan vers le ciel. Aux côtés de celui-ci, nous sommes similaires—inconscients mais béats témoins d’un cycle de vie.